Le Dr Chris Pierce, consultant et CEO de la firme britannique Global Governance Services Ltd, a rencontré l’équipe de direction et les cadres supérieurs de Rogers en début d’année pour leur expliquer les subtilités du nouveau Code de gouvernance d’entreprise. Il nous explique comment la gouvernance s’inscrit dans les valeurs d’une entreprise et influe sur son rendement global.
Quelle est l’importance de la mise en œuvre du code actualisé pour la communauté des affaires à Maurice ?
Une entreprise doit être bien gérée et bien gouvernée pour assurer son efficacité, son efficience et son succès. Cela doit commencer par le conseil d’administration, dont les responsabilités, les fonctions et les rôles doivent être clairement définis. Un conseil d’administration doit également établir son rôle dans sa propre charte, et communiquer ensuite à l’entreprise, dans son ensemble, un cadre régissant la responsabilité et la reddition de comptes. Ces mécanismes de gouvernance sont également des moteurs de croissance et de prospérité durable.
Les entreprises mauriciennes appliquent-elles cette règle en suivant les directives établies ou y a-t-il encore matière à amélioration ?
Il n’y a aucune entreprise au monde qui est parfaitement gouvernée. Le code se veut une source d’inspiration et un outil de développement. Il encourage aussi les membres de conseils d’administration à se pencher sur la gouvernance dans les huit domaines pour lesquels le Comité national sur la gouvernance d'entreprise a élaboré des principes (voir encadré) et à réfléchir à la meilleure façon de les appliquer à leurs entreprises respectives dans leur propre intérêt.
Vous décrivez le code comme une « source d’inspiration ». Que voulez-vous dire par là ? Qu’il doit donner l’exemple ?
Absolument, et ce contenu qui inspire sert souvent de base par la suite à d'autres discussions au niveau d’un groupe et de ses filiales. Nous disons donc que le conseil d’administration devrait réfléchir chaque année à ses responsabilités en matière de risques et de reporting. Et si tel n’est pas le cas, il devrait en étudier les raisons et les expliquer à ses actionnaires et autres interlocuteurs. Le code est plutôt composé d’une série de recommandations et de bonnes pratiques qui visent essentiellement à améliorer la transparence et la responsabilité.
Quelles sont, à votre avis, les deux ou trois principales dimensions qui nécessitent l’attention des entreprises locales ?
Je pense que le point principal est la composition du conseil. Est-elle adéquate ? Le conseil comprend-il un mélange approprié d'administrateurs non exécutifs, exécutifs et indépendants ? Et nous devrions vérifier si cette composition offre la combinaison adéquate d’aptitudes en termes de connaissances et d’expertise techniques, d'expérience et de diversité. Par diversité, nous entendons également le nombre de femmes au sein du conseil d’administration ou le fait qu’il y ait ou non des administrateurs qui sont prêts à remettre en question l’existence de tout groupe au sein du conseil.
Qu’auriez-vous à dire sur la diversité des conseils d’administration dans les secteurs public et privé mauriciens ?
Maurice se porte très bien sur le plan de la gouvernance d’entreprise dans son ensemble. Cette année encore, l’indice Mo Ibrahim, qui mesure et surveille la bonne gouvernance en Afrique, estime que c’est le pays le mieux gouverné du continent, et ce depuis douze ans. Il en va de même pour la compétitivité : selon les statistiques du Forum économique mondial, Maurice se classe premier en Afrique. Dans le rapport « Ease of Doing Business » de la Banque mondiale sur la compétitivité nationale, Maurice occupe encore une fois la première place en Afrique, ce qui signifie que nous partons d’une base très solide. De nombreux autres pays s’efforcent toutefois d'avancer et Maurice doit en permanence améliorer ses standards de bonne gouvernance pour maintenir son rang. C'est précisément le but du code.
Est-ce une référence suffisante pour faire des affaires avec l’Europe et l’Amérique ?
Oui. Le dernier rapport « Ease of Doing Business » de la Banque mondiale classe également Maurice 20e sur 190 pays. Cette place dans le quartile supérieur signifie que le pays part d’une base solide. Il dispose d’un code de gouvernance d’entreprise publié en 2003 et d’une législation efficace sous la forme du Companies Act et du Financial Reporting Act. Mais les Etats doivent toujours viser à l'amélioration.
Y a-t-il des mesures rapidement payantes que vous pourriez suggérer pour faire grimper Maurice dans les classements et perceptions à l’échelle mondiale ?
Il n’y a pas de solution toute faite. Cela dépend de la façon dont les entreprises adoptent le code. Après sa publication, une entreprise peut, par exemple, se concentrer sur l’amélioration de ses systèmes de gestion des risques, une autre peut revoir ses processus de nomination d’administrateurs et une autre encore peut mettre l’accent sur la diversité du conseil. D'autres peuvent, par contre, choisir de se concentrer sur le reporting intégré ou le reporting socio-environnemental.
Quel est votre point de vue sur la gouvernance au sein du groupe Rogers ?
Le groupe a toujours démontré un intérêt prononcé pour la gouvernance d’entreprise. Aruna Radhakeesoon préside actuellement le comité national sur la gouvernance d’entreprise. Rogers mettra probablement l’accent sur le maintien d'un niveau élevé de conformité au code. La compagnie a raison d’organiser des rencontres avec les membres du conseil d'administration, la direction et les administrateurs des filiales, qui se réunissent pour discuter de l’application de ces principes. Il est bon de rappeler qu’il ne s’agit pas là d’une loi qui oblige un conseil d’administration à se conformer à des exigences particulières. Le code requiert des compagnies d'appliquer des principes de bonnes pratiques.
Les politiques sur l’environnement et le développement durable font-elles partie du concept de gouvernance moderne ? Comment ?
Dans leur rapport annuel, toutes les entreprises ne devraient pas uniquement penser à leur performance financière – leur rentabilité, leur solvabilité et leur liquidité. Elles devraient aussi se concentrer sur leurs actions dans la société, sur la façon dont elles sont gouvernées et l'impact environnemental de leurs décision et de leurs activités. C’est là l’utilité du reporting intégré et du reporting socio-environnemental. Le code soutient pleinement les entreprises qui se penchent sur ces domaines d’intérêt public. Par exemple, il y a une recommandation concernant les contributions aux partis politiques. Pour que la transparence et l’ouverture priment, il est recommandé que le conseil d'administration approuve et indique annuel toute contribution qui pourrait être faite à des partis politiques.
La dimension de gouvernance d’entreprise a permis d’établir une structure pour diverses questions de gestion complexes. Pensez-vous que ces principes s’appliquent à d'autres questions multidimensionnelles telles que la protection de l’environnement et le développement durable ?
Fondamentalement, le Principe 6 est associé à l’intégrité du reporting, qui englobe également des questions telles que les impacts environnementaux et sociaux. Il demande aux entreprises de se comporter de manière responsable, intègre et honnête afin de susciter la confiance. À cet égard, ce code est complètement aligné sur tous les enjeux du monde moderne, avec un comportement responsable de la part des entreprises.
Pensez-vous que Maurice est prêt à adopter un code aussi libéral ?
Le code est le fruit d’une vaste consultation avec l’ensemble de la communauté des affaires. La conception du nouveau Code a débuté avec des recherches en 2013, qui comprenaient des réunions, des études.
La plupart des gens disait qu’il était nécessaire de revoir les pratiques de gouvernance à Maurice, particulièrement après la crise de la British American Investment et aussi, dans une certaine mesure, pour refléter l'impact des crises financières mondiales sur Maurice.
Le code de 2003 a été un succès, mais il devait être actualisé pour tenir compte notamment de la gestion des risques ou de certaines stratégies ou d'autres méthodologies qui n’existaient pas il y a quinze ans...
Et pour faire face aux problèmes et aux scandales financiers qui ont marqué ces dernières années ?
Même le nouveau code n’empêchera probablement pas un autre scandale de se produire et, si tel est le cas, le code prévoit que la loi devrait être appliquée. Il s’agit plutôt d’une série de recommandations liées à de bonnes pratiques qui réduiront les recours à la justice en cas de nouveaux scandales. Par exemple, le code établit que certains énoncés ou descriptions de postes doivent être très clairement définis, en expliquant les fonctions du CEO, du Directeur financier ou du Gestionnaire des risques. Les responsabilités sont donc clairement établies et si quelque chose tourne mal, nous pouvons en déterminer le responsable. Le code nous dit essentiellement ce qu’une entreprise sérieuse devrait faire. Les pays mettent généralement un certain temps à s’habituer à un tel système, mais je suis certain que c'est la bonne marche à suivre.
Un code fondé sur des principes
Huit principes ont été élaborés dans le cadre du nouveau Code de gouvernance d’entreprise pour Maurice.
Ces principes ont été créés pour être appliqués par toutes les compagnies couvertes par le code. Ils sont aussi de nature non contentieuse. De plus, le Code se veut flexible : chaque conseil d’administration décide de la manière dont il appliquera ces principes.
Globalement, le document couvre :
Le rôle du conseil d’administration.
La composition du conseil d’administration et de ses divers comités.
Les procédures de nomination.
Les fonctions des administrateurs, leur rémunération et leur performance.
Les risques et la gouvernance des risques, ainsi que le contrôle interne au sein de l’entreprise.
L’intégrité du reporting aux actionnaires et interlocuteurs de l’entreprise.
L’audit.
Les relations avec les actionnaires et autres interlocuteurs clés.
En bref
Le Dr Chris Pierce est le Chief Executive Officer de Global Governance Services Ltd., installée à Londres. Ce spécialiste reconnu à l’échelle mondiale en matière de gouvernance d’entreprise internationale a publié de nombreux livres et plusieurs articles sur la question dans des revues spécialisées. Il est l’auteur du Code national de gouvernance d’entreprise pour Maurice (2016), entré en vigueur en juillet 2017.