Ils croient en la force de l’action et sont persuadés que les entreprises sont de puissants leviers de changement. Natacha Emilien, Manish Bundhun et Paul Perrier se sont prêtés au jeu de l’interview croisée pour dessiner le visage de l’entreprise du futur.
Natacha Emilien
Fondatrice du Board of Good et directrice de Eagle Insurance, Attitude Property, CSI Energy Group, La Trobe, KazaCare et TIPA.
Manish Bundhun
Chief People Executive de Rogers et l’auteur de « Shots Of Insights » (2021) et « Disruptor : 9 Abilities off Agile Leaders » (2022).
Paul Perrier
CEO de Fundkiss, une plateforme de prêts aux petites et moyennes entreprises
À quoi ressemblera l’entreprise de demain ?
Manish Bundhun – Sous trois axes : Work, Worker, Workplace. Tout est en train de changer, et ce n’est qu’un début. Le Work, la nature du travail, est chamboulé par la digitalisation et l’ère du changement permanent. Le Worker du futur est multitalented, polyvalent. Quant au Workplace, si le travail à distance a toujours existé, la pandémie l’a généralisé, et le work from anywhere va devenir le modèle dominant.
Natacha Emilien – J’ajouterais la question du « pourquoi ». Pourquoi je fais ce que je fais ? Pour l’argent ? Pour être utile à la société ? Pour apprendre ? Me développer ? La quête de sens au travail est déjà, et va devenir plus encore, essentielle. Ce n’est ni un caprice de jeune, ni une tendance passagère, mais bien un profond changement.
Paul Perrier – Pourquoi se lever le matin pour réaliser des tâches que l’on perçoit comme inutiles ? Nous souhaitons tous gagner notre vie en faisant quelque chose qui a du sens, qui nous donne un but. Créer de la valeur économique, oui, mais de la valeur sociétale aussi. Demain, une bonne décision ne pourra plus se cantonner à l’aspect économique. Il ne s’agira plus simplement d’être les meilleurs en termes de performance financière, mais d’être meilleurs pour la société. C’est donc l’utilité sociale et la valeur du travail dans son ensemble qui sont mises au défi.
Une façon de réenchanter le travail ?
Natacha – En un sens, oui. À côté de la rentabilité économique viennent se greffer d’autres critères : la performance sociale, environnementale et éthique. Cela oblige le dirigeant à élargir son horizon, à prendre en compte un ensemble de parties prenantes, et non plus un acteur unique, l’actionnaire. Au final, la vision de l’entreprise s’élargit, on passe des shareholders aux stakeholders.
Paul – Derrière la quête de sens au travail, c’est l’engagement des collaborateurs qui se joue. Un employé qui trouve du sens à ce qu’il fait s’implique davantage, est plus motivé. Après, il y a un autre point qui me paraît important : l’autonomie. L’entreprise de demain est celle qui s’adaptera à ses employés, plutôt que l’inverse. Le 9 h -17 h , c’est terminé.
Manish – Oui, ce n’est plus l’entreprise qui choisit ses collaborateurs, mais bien les collaborateurs qui choisissent l’entreprise dans laquelle ils souhaitent évoluer et s’épanouir – la pénurie dans le secteur de l’hôtellerie vient nous le rappeler. Hier, l’employeur évaluait le candidat. Aujourd’hui, et de plus en plus demain, les deux s’évaluent mutuellement. Les travailleurs ne sont plus prêts à évoluer dans une organisation trop contrôlée, qui ne parle que de profit, où l’on réduit chaque job à une to-do list ; ils n’en veulent plus.
À quoi aspirent les salariés ?
Manish – Se sentir utile, avoir un impact positif à la fois sur la planète et sur la société. Puis viennent des critères plus personnels comme acquérir des compétences, grandir dans sa carrière, vivre des expériences ou concilier vie professionnelle et vie privée. La rémunération reste un critère important, mais il n’est plus le seul.
Paul – Je crois qu’il faut nuancer. Oui, le sense of purpose est important. Mais pour beaucoup de monde, la rémunération reste le critère d’attractivité numéro un.
Manish – Les thématiques à assurer se résument aux trois P : Prosperity, People et Planet. Si vous combinez les trois dimensions, vous répondez à une grande partie de l’équation.
Si vous deviez faire le portrait du leader idéal…
Natacha – Le leadership doit se réinventer ! Dans un monde incertain où les crises s’enchaînent, la qualité essentielle des leaders de demain est probablement le courage. Être leader dans un environnement chaotique commande une vaillance et une détermination inédites, indispensables pour gouverner dans la tempête et transformer l’adversité en opportunité. La curiosité sera une autre qualité incontournable. Avec la rapidité des changements actuels et à venir, le leader devra constamment être à l’affût de nouveaux apprentissages. Être dans le partage et la bienveillance, moins dans l’ego et, surtout, savoir fédérer ses équipes.
Paul – S’il y a un mot pour décrire un leader, c’est « inspirer ». Inspirer une vision, insuffler une énergie, donner envie de se surpasser.
Manish – Je crois que le leader idéal est un leader de son temps, agile, capable de réagir vite, mieux, et de transformer les changements continus en opportunités.
Où les trouvera-t-on, ces perles rares ?
Natacha – Je vais être franche : ces leaders, je peine à les trouver. Et c’est une grosse frustration. Quand je pose la question aux jeunes « Quel CEO vous inspire ? », la réponse est malheureusement unanime : « Personne ».
Manish – À Maurice, nous vivons deux pénuries qui se nourrissent l’une de l’autre : celle des talents et celle des dirigeants. C’est un cercle vicieux.
Paul – L’un des gros enjeux est le niveau de rémunération. On veut des « talents » bon marché, mais c’est impossible, ça ne marche pas comme ça. Pour réussir, il n’y a pas de secrets : il faut investir dans le capital humain.
Manish – Beaucoup de talents quittent Maurice à cause des salaires trop bas. Pour les attirer, il faut adopter une approche Cafeteria Package, être plus flexible dans l’offre de rémunération. La standardisation a fait son temps, on va vers la personnalisation. C’est le cas déjà de l’expérience client, ce sera le cas demain de l’expérience collaborateur.