L’aviation demeure un vecteur indispensable du développement économique, social et culturel. L’avenir du secteur et le modèle le plus adapté pour répondre aux enjeux de demain posent cependant des questions qui taraudent les décideurs à travers le monde entier.
L’impact des fluctuations du prix du carburant sur les tarifs et la crise de la zone euro ont rendu la quête de rentabilité encore plus difficile ces dernières années pour le secteur de l’aviation. La croissance est discontinue malgré une demande passagers relativement robuste, alors que le trafic fret recule.
Les effets des turbulences dans le secteur de l’aviation sont ressentis à travers toute la chaîne, soit non seulement au niveau des compagnies aériennes et des avionneurs, mais aussi des agents de voyage, des tour- opérateurs, de l’hôtellerie et des locations de voitures, entre autres. Avec plus de la moitié du 1,035 milliard de touristes internationaux ayant voyagé par avion pour rejoindre leur destination en 2012, il est plus que clair que les destins de l’aviation et du tourisme sont étroitement liés.
L’aéroport international Sir Seewoosagur Ramgoolam, principal point d’entrée à l’île Maurice, accueille actuellement une vingtaine de lignes aériennes, qui desservent plus de 35 destinations à travers le monde. Il a enregistré 10 016 atterrissages d’avions en 2012 et 47 000 tonnes de fret aérien ont été chargées ou déchargées dans le pays. L’année dernière, 1 247 619 passagers sont également arrivés à l’île Maurice par avion et 1 243 243 personnes ont quitté le pays par le même moyen de transport, représentant 97 % du nombre total de voyageurs. Le nombre de résidents mauriciens qui ont voyagé a accru de 8 % pour atteindre 236 595, représentant 18,4 % du nombre total de départs.
Les recettes touristiques sont une source vitale pour l’économie mauricienne, avec une contribution moyenne de 25 % au produit intérieur brut et des recettes de Rs 46,1 milliards (un peu plus de ¤1 milliard) attendues en 2013. La capacité du parc hôtelier mauricien a augmenté ces dernières années, avec 117 établissements, 12 527 chambres et 25 496 lits en 2012, soit un peu plus de 4,5 millions de nuitées. Une croissance de 5 % est, par ailleurs, prévue pour 2013. Le taux d’occupation des chambres d’hôtels a toutefois décliné de 70 % en 2010 à 62 % l’année dernière.
On note également une modernisation des infrastructures, avec de nouvelles routes et l’inauguration prochaine d’un terminal passagers flambant neuf capable d’accueillir jusqu’à 4,5 millions de voyageurs annuellement. La société d’exploitation de l’aéroport, Airports of Mauritius Ltd (AML), a aussi investi dans le revêtement et l’élargissement de la piste d’atterrissage, ainsi que la construction d’une piste d’urgence de 2,2 km. La piste d’atterrissage, qui fait désormais 3,4 km de long et 75 m de large, peut accueillir des gros porteurs tels que l’Airbus A380 et le Boeing 787 dans des conditions optimales. Pour 2013, des projets visant à développer le fret mobiliseront un investissement de Rs 350 millions (environ ¤ 10 millions).
Par rapport aux 965 441 arrivées de touristes enregistrées en 2012, tous ces chiffres pointent vers une surcapacité évidente. La croissance touristique mondiale est pourtant réelle sur plusieurs destinations. Alors que l’Organisation mondiale du Tourisme (OMT) prévoit une hausse des arrivées touristiques internationales entre 3%et4%en2013,aprèsuneaugmentationde4%en 2012, les arrivées touristiques à l’île Maurice stagnent sous le million, avec une croissance de seulement 0,1 % l’année dernière et une augmentation projetée de 2,5 %, soit environ 990 000 visiteurs cette année. Un taux relativement faible également si on le compare à l’augmentation de 18 % enregistrée par notre voisin sud-africain en 2012.
On assiste actuellement à une croissance négative sur les marchés émetteurs traditionnels de la destination Maurice, qui sont principalement européens. La France, par exemple, qui représentait 27,1 % des arrivées touristiques l’année dernière, a connu un recul de 13,2 %. Cette baisse a été partiellement compensée par une hausse sur les marchés émergents, qui affichent les taux de croissance les plus musclés à l’échelle mondiale. Alors, d’où peut bien venir le mal et quels sont les remèdes possibles ? Est-ce une question d’éloignement des principaux marchés émetteurs et d’exportation, de coût du billet d’avion, d’accessibilité de la destination, de disponibilité de sièges d’avions, ou encore de prix et de positionnement du produit touristique ? Les différents acteurs se renvoient mutuellement la responsabilité. Le contexte économique extrêmement difficile et la variation du prix du carburant ne facilitent également pas les choses.
À l’échelle mondiale, il reste du chemin à parcourir avant un retour à la normale, même si les changements structurels apportés ont amélioré la capacité de l’industrie de l’aviation à générer des bénéfices compte tenu de la situation économique, indique l’Association internationale du transport aérien (IATA). Les conditions économiques récentes ont été contrastées, avec d’une part, une récession plus profonde que prévue en Europe et de l’autre, une baisse des cours du pétrole. Selon un rapport d’analyse de l’IATA datant d’avril 2013, le niveau de confiance des entreprises est supérieur à celui de la mi-2012, mais la reprise qui a soutenu l’accélération du trafic de passagers s’est stabilisée sur les derniers mois, surtout en raison de la dégradation de la situation dans la zone euro.
En Afrique, la croissance moyenne du transport aérien pourrait atteindre 5,2 % en 2013, contre 5,1 % l’année dernière, selon le secrétaire général de l’Association des compagnies aériennes africaines, Elijah Chingosho. Ethiopian Airlines, la compagnie la plus rentable du continent trois années de suite, a enregistré une hausse de 25 % de son trafic passagers en 2012. Malgré une conjoncture aérienne difficile, la compagnie nationale éthiopienne, avec une flotte composée de 54 appareils, continue de multiplier les destinations et maintient le cap sur l’objectif de réaliser un chiffre d’affaires de ¤ 7,7 milliards en 2025. Comme la plupart des compagnies aériennes, le transporteur national mauricien passe, pour sa part, par des difficultés financières ces dernières années. Pour remonter la pente, Air Mauritius a fait appel à la compagnie américaine Seabury afin de revoir sa structure de fonctionnement. Elle met en œuvre, depuis février 2012, un nouveau modèle d’entreprise composé d’un plan en sept étapes. La compagnie, qui compte pour plus de 50 % du trafic passagers de et vers le pays, a notamment augmenté sa capacité de sièges de 3 % pour passer à 1 943 946 d’avril 2012 à mars 2013, avec un accent plus prononcé sur les marchés émergents et l’océan Indien.
« Les perspectives demeurent incertaines non seulement pour Air Mauritius, mais aussi pour l’ensemble du secteur aérien », soutient le CEO d’Air Mauritius, Andre Viljoen. « L’île Maurice est aussi particulièrement vulnérable à la concurrence entre destinations, compte tenu de sa position géographique. En revanche, de nouvelles possibilités émergent sur les marchés alternatifs. Nous constatons une croissance soutenue sur les marchés africains et asiatiques en particulier. Le nouveau réseau d’Air Mauritius renforce l’accès à ces destinations. » (Voir également l’interview à la page 12).
Même si Air Mauritius a eu une contribution indéniable au développement du tourisme, à l’ouverture du pays et au prestige de la nation, les temps ont changé. Avec l’évolution actuelle à l’échelle mondiale, le secteur de l’aviation à l’île Maurice – et par ricochet, le tourisme – se trouve à la croisée des chemins. Il est clair que la réinvention d’un modèle qui semble devenu obsolète s’impose pour aboutir à une stratégie intégrant les besoins tant du transporteur que des opérateurs touristiques dans l’intérêt de l’économie nationale.
Pour Nirvan Veerasamy, Managing Director de la société de leasing d’avions Veiling et ancien directeur d’Air Mauritius, il ne fait aucun doute que l’île Maurice peut survivre sans transporteur national. « Les Maldives sont un exemple probant dans la région. Toutefois, une compagnie aérienne forte et prospère qui sert les besoins de la nation et de la région est un atout précieux qui nous permet d’exercer un certain contrôle sur notre destinée plutôt que de dépendre des autres. La question de l’accès aérien a suscité de nombreux débats sur Air Mauritius et je pense que certains arguments n’étaient pas fondés », dit-il.
« Nous savons que les centres focaux de l’économie mondiale se sont déplacés vers l’Est et la situation devrait perdurer dans un avenir prévisible. L’Inde, la Russie, la Chine et le Sud-Est asiatique impulsent actuellement la croissance économique mondiale. Il ne fait aucun doute que si une ou plusieurs compagnies aériennes proposaient des vols quotidiens vers les principales villes de ces pays, cela bénéficierait à la région. Si cette compagnie offre également des vols directs vers l’île Maurice ou la région, ce serait une formule gagnante », ajoute-t-il. En 2012, la Chine s’est d’ailleurs hissée au premier rang des marchés émetteurs de tourisme au monde au titre des dépenses.
Il semble également évident pour Nirvan Veerasamy qu’il faut « ouvrir davantage l’accès aérien à l’île Maurice, mais également dans les Îles Vanille ». Ce regroupement régional constitué de l’île Maurice, de l’île de La Réunion, des Seychelles, de Madagascar, des Comores et de Mayotte, a pour objectif de développer les échanges touristiques entre les territoires concernés. « David Savy, des Seychelles, a évoqué, avec raison, lors d’une récente conférence de la Commission de l’océan Indien sur la connectivité régionale, qu’il faudrait une politique de ciel ouvert entre les Îles Vanille. Comment expliquer qu’il y ait deux vols quotidiens entre l’île Maurice et Dubaï, mais un accès plus restreint vers les Seychelles ? »
Nirvan Veerasamy estime qu’au-delà de l’ouverture du ciel, les décideurs régionaux doivent s’inspirer de l’espace Schengen pour permettre aux visiteurs étrangers de circuler librement entre les Îles Vanille. « Il faut avoir le courage de créer une zone de libre échange entre ces territoires et l’aviation sera le vecteur automatique de la croissance. »
Intervenant à la conférence sur la connectivité aérienne dans l’Indianocéanie, qui s’est tenue début mai 2013 à l’île Maurice, le ministre mauricien des Affaires étrangères, le Dr Arvind Boolell, considère également que « les effets de la crise ralentissent et diminuent les transactions, paralysent les investissements à court terme et provoquent des restructurations. Il faut, dans un tel contexte, faire preuve de réactivité, accepter, si besoin, un changement structurel difficile sur le court terme, mais résolument payant sur le long terme. C’est ce mouvement qui se dessine partout ailleurs, notamment dans le secteur de l’aviation civile ».
Cette conférence, organisée par la Commission de l’océan Indien (COI), a vu la participation de plus de 80 représentants des secteurs de l’aviation civile, du transport aérien, du tourisme, des industries d’importation et d’exportation, des organisations internationales et partenaires de développement (Union européenne, Banque mondiale, OMT, Agence française de développement, IATA, Organisation mondiale de l’aviation civile, etc.). Elle s’est achevée sur l’adoption d’une feuille de route proposant la convocation d’une réunion des ministres de l’Aviation civile et du Tourisme. Lors de cette même conférence, le Dr Hannah Messerli, spécialiste du développement touristique de la Banque mondiale, a présenté des projections chiffrées sur Singapour. Elle a indiqué qu’un doublement des arrivées touristiques de 2004 à 2017 permettrait à ce pays de tripler ses recettes touristiques et de gagner 2 à 3 points de croissance.
Selon l’un des principaux intervenants à ce forum, le secrétaire général de la COI, Jean-Claude de l’Estrac, la réflexion en cours sur l’aviation civile n’est pas particulière à l’île Maurice. « Partout dans le monde, les compagnies nationales se posent des questions. Comment concilier l’obligation de rentabilité financière avec les besoins de l’économie des pays qu’elles desservent ? »
La COI a pour mission première est de faciliter et d’accompagner l’intégration économique et commerciale des pays membres, ainsi que de promouvoir leur pleine participation à la mondialisation des échanges. Elle a lancé plusieurs pistes de réflexion. lors de cette conférence. L’une d’entre elles est la création d’une compagnie régionale unique. « Les compagnies de la région sont toutes en difficulté financière et ont toutes été dans l’obligation de revoir leur plan de développement stratégique, ainsi que leur programme d’expansion. Certaines d’entre elles ont dû abandonner des lignes moins rentables par souci d’économie et pour baisser les coûts. Pour faire face à une situation financière difficile, elles adoptent une stratégie qui peut leur être utile pour baisser les coûts d’opération et retrouver une meilleure rentabilité, mais qui peut handicaper la stratégie économique globale de la région », affirme Jean-Claude de l’Estrac.
Tout comme Nirvan Veerasamy, il se demande s’il est toujours nécessaire aujourd’hui d’avoir une compagnie aérienne nationale. « Dans beaucoup de pays, on considère que c’est désuet et qu’il faut rechercher l’ouverture, la rentabilité et la compétitivité et non pas s’attacher à un symbole de souveraineté nationale qui devient un peu dérisoire devant l’importance de l’enjeu. Le fait de devoir protéger une compagnie nationale implique qu’on ne pratique pas une politique de grande compétitivité internationale. La compagnie nationale y trouve son compte, mais la question qu’on se pose est si cela sert réellement l’intérêt de l’État plus globalement et de l’économie nationale. »
La rationalisation des activités et le maintien de leur compétitivité poussent les compagnies aériennes à s’entendre, à nouer des partenariats, à conclure des alliances stratégiques ou à fusionner, dit-il. Il rappelle toutefois qu’une ouverture totale n’est pas forcément la meilleure solution. Il y a eu des situations dans le passé où sans compagnie nationale, certains pays auraient connu des difficultés réelles.
Jean-Claude de l’Estrac estime qu’il tombe sous le sens que la fusion de quatre petites compagnies qui perdent de l’argent en une seule compagnie régionale, avec une certaine épaisseur, pourrait permettre de rentabiliser l’opération au lieu de morceler un marché déjà étroit. Sur le milliard de touristes enregistré en 2012, seulement 2 millions ont visité l’Indianocéanie.
D’autres formules suggérées par la COI sont d’éventuels partenariats entre compagnies régionales et le choix collectif d’un partenaire stratégique international pour connecter la région au plus vaste monde. En parallèle, elle préconise la création d’une compagnie low-cost–qui ne viendrait pas concurrencer les compagnies existantes, mais dans laquelle celles-ci investiraient elles-mêmes– pour le trafic intra-régional. « Les compagnies low- cost existent partout dans le monde, mais pas dans notre région. Cela nous permettrait de voyager à moins cher et rapidement, ainsi que de nous visiter les uns les autres », explique le secrétaire général de la COI. Il concède toutefois que la concrétisation de ces idées est relativement complexe en raison des implications politiques. « C’est un changement sismique, mais cela a du sens sur le plan économique et financier. »
D’autre part, avec l’ouverture d’un nouveau terminal passagers, la stratégie de positionnement de l’île Maurice en plate-forme régionale pour les flux de passagers et de marchandises se précise. « Maurice se situe dans le triangle d’or à la croisée des chemins entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe et c’est face à ces futurs enjeux géopolitiques que le gouvernement mauricien a choisi d’optimiser son trafic international et ses moyens d’accès grâce à la construction d’un terminal plus grand et plus moderne pour créer un hub », explique le CEO d’Airport Terminal Operations Ltd, Bruno Mazurkiewicz (voir également l’interview à la page 62).
Tout l’enjeu du débat sur la formule qui conviendrait le mieux est de parvenir à un équilibre entre les intérêts d’une compagnie aérienne, nationale ou régionale, et ceux de l’économie dans sa globalité. En tout cas, ce qui est certain, c’est que l’inaction n’est pas une option.