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Ali Mansoor: « L’économie doit être au service du social »

Toute activité économique a des impacts sociaux et environnementaux. Le concept de responsabilité sociale de l’entreprise en appelle à la participation cette dernière afin de rétablir la balance. La République de Maurice a introduit, dans la loi de finance de 2009, l’obligation pour les entreprises de consacrer 2 % de leurs bénéfices au financement d’activités socialement responsables. Trois ans après, le secrétaire financier au ministère mauricien des Finances, Ali Mansoor, dresse le bilan de cette approche avant-gardiste.

photos : manoj nawoor | atipik ltd

Vous avez été l’un des artisans de la législation mauricienne sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), adoptée en 2009. Trois ans après, quel est votre constat ?

C’est un chantier en cours. Nous avons beaucoup progressé, mais comme pour tout système, il faut du temps pour atteindre nos objectifs. C’est déjà une bonne chose que les grosses entreprises aient mis en place des fondations. Il y a donc une structure pour développer une vision pluriannuelle et un programme afin de s’engager auprès de la société civile.

Toutefois, la société civile elle-même n’est pas encore suffisamment organisée pour faire fonctionner le système de manière à obtenir les résultats que l’on pourrait espérer. Il faut orchestrer un renforcement des capacités. Les petites organisations non gouvernementales (ONG), par exemple, ont fait état dans certains forums de l’absence d’interface avec les fondations des grandes compagnies, ce qui leur aurait permis d’appuyer les demandes de financement pour leurs projets. Certains n’utilisent pas au mieux les mécanismes mis à leur disposition, probablement parce qu’ils ne sont pas convenablement structurés ou par manque d’information.

Les ministères aussi doivent peut-être se pencher un peu plus sur la façon dont le fonctionnement du système pourrait permettre à la société civile, aux financements de la RSE et au secteur privé de venir soutenir leur action.

Pourquoi ne pas pousser la démarche plus loin encore en consolidant et en professionnalisant le concept d’« action sociale », avec notamment la mise en œuvre de dispositifs de formation et des incitations ?

Cette question demande peut-être une explication philosophique au préalable. Pourquoi la RSE et pourquoi Maurice ? Notre succès économique, contre les attentes de beaucoup de personnes, résulte en grande partie d’une collaboration étroite entre le gouvernement et le secteur privé. C’est grâce à cette collaboration que nous avons pu réaliser des progrès impressionnants depuis l’indépendance.

Le succès économique n’est pas venu d’un seul coup et il faut continuer à entreprendre des efforts dans ce sens. Il en est de même pour le social. Il faut du temps pour progresser dans tous les domaines où cela s’avère nécessaire. Mais grâce à une collaboration entre société civile, gouvernement et secteur privé, on peut atteindre les mêmes résultats qu’avec l’économie.

Il faut situer la réponse à cette question très concrète, très pratique et très importante dans le contexte de ce partenariat. Les fondations devraient peut-être accroître leurs efforts sur ce plan. Etant en première ligne, elles savent mieux quels sont les projets d’ONG qui sont bien ou mal préparés. Il y a peut-être également des projets avec des idées excellentes, mais qui ne sont pas bien ficelés. Elles peuvent donc contribuer en travaillant avec les ONG concernées afin qu’elles aient la formation nécessaire, non seulement pour préparer leur projet, mais aussi pour pouvoir ensuite le mettre en œuvre. Si les fondations jouent un peu plus ce rôle de filtre et d’organisateur auprès de la société civile, on pourrait mieux s’attaquer au problème.

L’appareil existe déjà. Il y a une académie de formation pour les ONG au ministère de la Sécurité sociale, mais celle-ci ne fait que répondre aux demandes qui viennent de la société. Le ministère organise également des cours de manière ponctuelle et des formations sont disponibles à l’université de Maurice. Le Programme de coopération décentralisée financé par l’Union européenne propose aussi des formations.

Ce qu’il faut, c’est un contenu organisé et en cohérence avec les actions sur le terrain. L’Etat n’est pas bien placé pour définir les besoins de la société civile et cette dernière elle-même n’est pas suffisamment structurée pour définir ses demandes. C’est là où le partenariat entre les fondations du secteur privé, la société civile et le gouvernement pourrait nous aider à progresser dans les années à venir, en demandant aux fondations d’être un peu plus proactives, de définir les besoins de formation.

Avant même l’introduction de la législation sur la RSE, Rogers a décidé, dès 2007, de consacrer Rs 20 millions (€ 500 000) sur trois ans à la lutte contre le VIH/Sida au niveau national. Cet engagement a été renouvelé en 2010. Quel est votre point de vue sur une telle initiative ?

C’est cela l’idée de la RSE, une approche décentralisée. C’est donner à la société civile une incitation et les moyens de s’organiser afin de pouvoir entreprendre une action, non seulement sur une période continue, mais aussi avec une portée nationale. Souvent dans le passé, les actions de certaines organisations étaient limitées à travers le temps et à travers le territoire. Là, c’est un programme national qui, par définition, demande une structuration. La RSE donne l’accès à un financement additionnel et fiable, mais il faut aussi une structure pour assurer des résultats satisfaisants. C’est ce qu’on attend justement des fondations du secteur privé, en particulier parce qu’elles ont la structure voulue.

Les problèmes sociaux demandent du temps pour être résolus, mais tant que nous continuons de progresser d’année en année, on reste sur la bonne voie et à terme, on peut espérer être victorieux. Il y a certains domaines où la nature humaine est telle que ces problèmes vont perdurer et il faut apprendre à les gérer. Mais avec le Sida, par exemple, avec tous les développements qu’il y a maintenant, on peut imaginer que dans un avenir pas trop lointain, ce problème deviendra aussi maîtrisable que d’autres maladies contre lesquelles nous avons dû lutter dans le passé.

Ali Mansoor (right) in a meeting with his collaborators on the CSR dossier.

Pour rester dans le champ philosophique, dans un monde idéal, la RSE ne devrait-elle pas résulter d’une démarche volontariste d’apporter un changement social durable plutôt que de représenter une contrainte légale ?

Autant que je sache, il y a des entreprises qui donnent plus que ce qu’exige la législation sur la RSE. D’ailleurs, c’est le cas concernant Rogers, si je comprends bien. Il ne faut pas confondre entre obligation morale et obligation légale. Je pense que nous avons tous un devoir de solidarité. Mais il est non seulement utile, mais nécessaire de légiférer pour créer un cadre, avec des directives très claires, pour complémenter l’obligation morale et assurer des financements fiables et prévisibles afin d’essayer de définir un problème et de le maîtriser dans le temps.

On peut aussi approcher la question de la RSE d’une autre perspective. D’un point de vue philosophique, on peut dire qu’en fait, c’est une taxe qu’on paie sur les bénéfices pour financer le social. Mais elle diffère des autres taxes dans le sens où c’est le gouvernement qui décide de leur utilisation. La RSE est une taxe qui n’est pas dépensée par le gouvernement seul, mais aussi par ceux qui la paient, avec la société civile, en respectant les directives fournies par l’Etat. L’Etat donne la structure, établit les paramètres concernant ce qui peut être fait ou pas, mais l’utilisation des fonds revient à la société civile, en coordination avec ceux qui la financent. C’est quelque chose qu’on ne pourrait pas avoir dans un système purement volontariste, qui ne dépendrait que de la volonté de chacun.

Le concept de responsabilité sociale de l’entreprise, selon les termes de la loi, se concentre essentiellement sur la responsabilité sociale externe. Pourquoi ne pas y avoir inclus aussi la responsabilité sociale interne, par exemple ?

Parce que nous sommes humains. La tentation est trop grande si nous sommes juges et parties. Les entreprises ont une obligation de bien traiter leurs employés et de créer un cadre agréable pour que ceux-ci puissent travailler de manière productive, mais on ne peut pas prendre leur obligation envers la société comme étant d’abord de satisfaire leurs propres employés.

Pour conclure, est-ce qu’exigence économique et responsabilité sociale et environnementale sont des concepts antinomiques en matière de création de valeur ?

Je répondrai à cette question en utilisant un exemple qui a trait à l’environnement. Il y a un siècle, le Montana était le troisième ou quatrième état le plus riche des Etats-Unis en termes de revenu par tête d’habitant. Aujourd’hui, je crois qu’il est parmi les deux ou trois derniers. Pourquoi ? Parce qu’aucune attention n’a été accordée à l’environnement, qui a été surexploité. Cet état, qui était très riche à l’époque, n’a pas su gérer ses richesses de manière durable.

Ce que je veux dire, c’est qu’on ne peut dissocier l’économie du social, tout comme on ne peut dissocier le social et l’économie de l’environnement. Il faut faire du social si on veut soutenir l’économie. Si on traitait nos citoyens simplement comme un moyen de production afin de faire tourner l’économie, celle-ci ne fonctionnerait pas très bien pour très longtemps.

Quand on évoque les sociétés les plus agréables au monde, on pense aux pays scandinaves, au Canada, à l’Australie... Ces pays ne sont pas connus parce qu’ils sont des superpuissances économiques, mais parce qu’ils ont mis en place un système social qui est perçu comme encourageant chaque individu à atteindre son potentiel, avec un système de distribution relativement équitable. Ils ne sont pas appréciés pour leur économie performante. Dans ce cas, on penserait davantage aux Etats- Unis, mais la plupart des personnes préféreraient avoir le système social de ces pays. L’économie doit donc être au service du social, mais de manière durable. Encore une fois, l’Etat seul ne peut instaurer cet équilibre entre l’économie, le social et l’environnement. D’où l’importance de la RSE comme un instrument qui permet de forger le partenariat nécessaire afin d’atteindre ces objectifs. C’est ensuite à nous tous collectivement d’utiliser les opportunités qui sont disponibles afin de résoudre, de plus en plus efficacement, les problèmes auxquels nous faisons face dans un petit pays.

PORTRAIT

PARCOURS ÉLOGIEUX

Fils d’un couple de médecins philanthropes, Ali Michael Mansoor a un parcours professionnel élogieux. Âgé de 55 ans, il occupe les fonctions de secrétaire financier au ministère mauricien des Finances et du Développement économique depuis 2006. Détenteur d’une maîtrise en économie mathématique et en économétrie de la London School of Economics ainsi que d’une maîtrise en politiques publiques, Ali Mansoor a préalablement travaillé pour de prestigieuses institutions internationales telles que le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, la Commission européenne et le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa).

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