Après un peu plus de quatre siècles d’habitation humaine, l’île Maurice est confrontée à des enjeux environnementaux grandissants, qui ont contribué à une dégradation graduelle de la biodiversité côtière et marine.
photos : reef conservation | deeneshen sabapathee | coi françois rogers | mmcs | rachel de spéville
Les effets du développement représentent une menace permanente pour les écosystèmes côtiers et marins, qui figurent parmi les plus productifs du monde d’un point de vue biologique. Il est aussi reconnu aujourd’hui que les changements climatiques posent un problème environnemental pressant à l’échelle mondiale.
Un rapport sur l’avenir de l’environnement en Afrique publié par le Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE) indique que l’utilisation de combustibles fossiles et la production de ciment ont entraîné le rejet de quelque 270 milliards de tonnes de carbone dans le monde depuis le début de la révolution industrielle. L’augmentation des températures à l’échelle mondiale devrait entraîner une élévation du niveau de la mer, accompagnée du déplacement des populations vivant dans les zones de faible altitude, avec la disparition de quelques nations insulaires, des modifications et des réductions dans la production agricole.
Selon le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat, la moyenne des températures à l’échelle mondiale a augmenté de 0,6°C au cours du siècle dernier. Les environnements marins pourraient être sérieusement affectés, car une augmentation de la température marine de 1°C à 2°C pourrait entraîner une décoloration importante des coraux dans l’ouest de l’océan Indien, affectant les économies des pays littoraux et des îles.
La montée du niveau de la mer induite par les changements climatiques dans les 52 petits États insulaires de la planète – quatre fois supérieure à la moyenne mondiale, selon les estimations – continue d’être la menace la plus pressante pour leur environnement et leur développement socio-économique. Les pertes annuelles causées par leur vulnérabilité croissante s’élèveraient à des trillions de dollars.
L’île Maurice, pour sa part, compte 322 km de littoral, 150 km de récifs coralliens et 243 km2 de zones lagunaires, une zone économique exclusive de 1,9 million de km2 et une riche biodiversité marine, avec plus de 1 650 espèces répertoriées. Comme la plupart des îles océaniques, ses écosystèmes et sa biodiversité ont été mis à mal par des facteurs tels que la pression démographique, l’introduction sélective ou accidentelle d’espèces étrangères, la conversion de terres pour les affecter à la culture, la chasse, la croissance urbaine et la pollution.
Du fait des pressions exercées, un nombre considérable d’espèces végétales et animales sont menacées d’extinction ou ont déjà disparu, le cas le plus tristement célèbre étant celui du dodo (dronte). Chassé jusqu’à son anéantissement, il a également été victime de l’introduction d’espèces étrangères. La surexploitation des tortues terrestres et marines a, en outre, contribué à leur déclin. Le brûlage de la canne à sucre est aussi un mode répandu de destruction des habitats d’insectes, d’oiseaux et de reptiles, ainsi qu’une source de pollution de l’air dans l’île. La modification des habitats d’eau douce par la pollution est, à l’instar de la surexploitation et de l’exploitation sélective, une autre cause d’amenuisement de la biodiversité.
Les récifs coralliens sont des zones de haute potentialité biologique, avec une diversité floristique et faunistique considérable. Ils sont à la fois un habitat et une importante source de nourriture pour de nombreuses espèces marines vivant dans les eaux mauriciennes, mais également des organismes vulnérables dont la dégradation progressive interpelle.
Au niveau mondial, d’après l’Evaluation des Ecosystèmes pour le Millénaire, 20 % des récifs coralliens ont disparu, 20 % sont fortement dégradés et 50 % en mauvaise santé. Dans toutes les régions des petits États insulaires en développement (PEID), les récifs coralliens, qui sont leur première ligne de défense, sont déjà durement touchés par la hausse des températures à la surface de la mer. La diminution nette de la couverture de récifs coralliens – environ 34 millions d’hectares au cours des deux dernières décennies – coûtera quelque USD 11,9 milliards à l’économie internationale, touchant particulièrement les PEID, selon le SIDS Foresight Report publié début juin 2014 par le PNUE.
À l’île Maurice, cette dégradation est liée à un ensemble de facteurs, incluant certains d’origine naturelle, tels que le blanchissement des coraux, la prolifération d’algues, le réchauffement climatique, l’érosion des sols (quelque 18 500 m2 de plages ont été perdus durant la dernière décennie), la sédimentation, les tempêtes tropicales et la présence d’un prédateur, la couronne d’épines (Acanthaster planci), une étoile de mer épineuse.
La détérioration est accentuée par des facteurs d’origine anthropique, résultant de l’activité humaine. L’écrasement par des ancres de bateaux en fait partie, tout comme la destruction par des filets de pêche, le commerce illégal de coraux vivants prélevés du lagon, ainsi que la pollution causée par des déchets divers et l’infiltration d’engrais chimiques, d’insecticides et de pesticides, qui augmentent la charge en nitrates de l’eau de mer, résultant en une prolifération d’algues vertes. Tout comme son compatriote, l’océanographe François Sarano (voir interview à la page 12), le Dr Édouard Obadia, médecin réanimateur et spécialiste de la médecine hyperbare, a côtoyé le commandant Cousteau et son équipe pendant deux mois en 1979. Il a aussi plongé un peu partout à travers le monde depuis l’âge de 17 ans et a un niveau équivalent à celui de moniteur de plongée.
« Depuis 20 ans, on s’aperçoit des dégâts causés par l’homme sur la faune et la flore marine, notamment à travers la pêche, avec les filets qui endommagent tout l’écosystème. Les coraux mettent des dizaines d’années à se reformer, mais il y a des bateaux-usines qui détruisent tout en deux jours. Et ça, c’est dramatique », confie-t-il. Le Dr Obadia plonge également dans les eaux mauriciennes depuis le milieu des années 1980. Il indique avoir remarqué dernièrement la présence de beaucoup de coraux morts, mais également d’autres en formation.
« Les gens font peut-être un petit peu plus attention depuis quelques années. Je pense qu’on commence à prendre conscience que la mer et la terre sont notre bien commun à tous. »
Outre des méthodes de pêche destructrices, les espèces et habitats marins et côtiers sont menacés par le tourisme de masse, qui serait également nuisible aux habitats des récifs coralliens du fait de la pollution générée par les bateaux, hôtels et autres infrastructures et activités comme la marche excessive sur les récifs coralliens ou leur extraction à titre de souvenirs.
Par ailleurs, l’abattage des mangliers implique un moindre rempart contre la houle océanique, ainsi qu’une accélération de l’érosion côtière et de l’intrusion d’eau de mer. Les zones de reproduction des crevettes, crabes et autres espèces disparaissent à mesure que la couverture de mangliers s’amenuise.
« Le littoral mauricien était presque entièrement planté d’une barrière de mangliers. Lorsque les gens ont commencé à habiter les côtes, ils les ont déracinés pour s’ouvrir l’accès à la mer. Dans certains endroits, les mangliers ont également été remplacés par des plantations de filaos (casuarinas) », explique Jean-Claude Sevathian, Rare Plant Conservation Officer de la Mauritian Wildlife Foundation, une ONG œuvrant pour la réhabilitation et la protection des espèces endémiques de l’île Maurice.
Et pourtant, au moment de l’installation des premiers hommes au XVIe siècle, l’île Maurice grouillait de vie végétale et animale. Après plus de quatre siècles d’habitation humaine, il ne reste plus qu’environ 2 % de forêt primaire. De nombreuses espèces animales et végétales indigènes ont aussi disparu et l’écosystème marin s’est grandement appauvri. L’île se classe aujourd’hui au troisième rang mondial en termes de pourcentage de végétaux indigènes menacés de disparition. Elle figure également parmi les 25 zones de conservation prioritaire au monde pour sa biodiversité unique.
Un constat alarmant, qui démontre clairement l’urgence d’agir avant d’atteindre le point de rupture que craignait tant le commandant Cousteau…