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Vincent Florens: « Le plus important c’est de faire partie de la solution et non du problème »

Vincent Florens, chercheur en biodiversité.

Au fil des décennies, l’île Maurice a perdu 98 % de sa forêt originelle. La déforestation à outrance, la surexploitation des ressources et les espèces envahissantes ont eu raison de nombreuses espèces endémiques qui participaient au maintien de l’équilibre de notre biodiversité. Sommes-nous de si mauvais élèves ? Pouvons-nous encore espérer redonner à nos habitats naturels leurs notes de noblesse ? Vincent Florens, biologiste de la conservation et professeur d’écologie à l’université de Maurice, nous répond en toute franchise.

S’il fallait faire un bref état des lieux de la biodiversité à Maurice...

L’île Maurice est parmi les derniers pays à avoir été colonisés par les humains et pourtant nous faisons partie des territoires les plus dévastés de la planète en termes de biodiversité. Aujourd’hui, nous payons encore « la dette d’extinction », ce qui veut dire que des espèces vont continuer de s’éteindre en raison d'événements passés. Un exemple est celui de certains ébéniers qui croissent encore dans des lambeaux d’habitats, mais dont les effectifs sont trop faibles pour rester viables. En 70 ans, nous avons perdu un arbre sur deux, ceux de diamètre supérieur à 10 cm, dans les forêts protégées. La disparition de ces spécimens a un impact négatif sur tout l’écosystème de la forêt et notre biodiversité continuera de décliner sauf si nous intervenons.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Malgré des lois existantes depuis la colonisation française en faveur de la protection des forêts, il semblerait que l’extrémisme économique ait gagné la bataille. On a vu la même chose se produire dans le cas des roussettes. En 2015 et 2016, le gouvernement mauricien a permis l’abattage en masse de ces chauves-souris frugivores afin d’essayer (en vain) d’augmenter la production des fruits, surtout des letchis. Aujourd’hui, les études démontrent que la population mondiale de cette espèce a diminué de moitié et que la production de letchis a chuté de 70 %.

Plusieurs projets ont été menés ces dernières décennies. Quel impact ont-ils eu ?

Si l’île Maurice reste un exemple des « choses à ne pas faire », nous comptons quand même de belles réussites. Je pense à la sauvegarde de la crécerelle de Maurice, du pigeon rose ou encore à la restauration de l’habitat sur l’île Ronde. Là-bas, on a réussi à éradiquer les mammifères envahissants, à stopper l’érosion des sols et à entreprendre d’importants travaux de restauration. Les oiseaux marins sont de retour et les populations de reptiles rares sont en hausse. L’île aux Aigrettes aussi est un beau succès. Cependant, un des plus gros enjeux reste l’île principale où la biodiversité continue de s’appauvrir. L’éradication des plantes invasives, comme les goyaviers, permet à la forêt de se reconstruire.

Pourra-t-on un jour restaurer la biodiversité d’origine de l’île ?

Le but de la conservation n’est pas de recréer ce qui existait avant car la végétation indigène est de toute façon constamment en changement. Il s’agit plutôt de revenir à un écosystème qui puisse permettre à la biodiversité de se maintenir tout en préservant sa fonctionnalité écologique, par exemple en prévenant des sècheresses ou en protégeant contre l’érosion des sols. Un écosystème qui fonctionne assez pour continuer à protéger l’être humain auquel il est intimement connecté. Notre bien- être physique, mais aussi mental, en dépend.

Les Mauriciens sont-ils plus avertis aujourd’hui ?

Dans les années 80 et 90, la plupart des programmes de conservation étaient menés par des étrangers; aujourd’hui de plus en plus de Mauriciens s’investissent. Je le vois très clairement à l’université de Maurice où les étudiants sont de plus en plus passionnés par le sujet. Les menaces qui pèsent sur notre environnement sont mieux comprises et on voit de plus en plus de mouvements citoyens et militants faire leur apparition. Je pense que cette prise de conscience ne pourra que prendre de l’ampleur au fil des années.

Nous avons donc des raisons d’espérer ?

Nous enregistrons déjà plusieurs succès, mais beaucoup reste à faire. Avec du recul, je me dis qu’au pire Maurice servira d’éclaireur dans le domaine de la conservation en partageant au monde les leçons tirées de ses nombreuses mauvaises décisions environnementales. Et c’est vrai qu’il y a parfois de quoi perdre espoir, comme dans le cas des chauves-souris, mais à force de se battre on finira par faire triompher le bons sens. Le plus important c’est de faire partie de la solution et non du problème, de s’impliquer, de faire son maximum.

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