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« Il faut une vision globale pour l’île Maurice »

Joël de Rosnay, scientifique et progressiste reconnu, était à Maurice en mai dernier. Il a notamment animé un colloque, avec Business Mauritius, association représentant les entreprises locales, sur l’économie circulaire et le développement durable. Dans cet entretien, il analyse les grandes problématiques auxquelles le milieu des affaires et le secteur public devront faire face.

Que doit faire le milieu des affaires pour relever les défis qui l’attendent ?

Il doit reconnaître qu’il évolue désormais dans un écosystème numérique et qu’il est branché en permanence. Grâce au big data et à l’intelligence artificielle – que j’appelle « l’intelligence auxiliaire » –, nous avons les moyens de traiter les données sur des sujets qui intéressent la grande industrie : l’énergie, la santé, l’éducation et le management moderne. L’intelligence auxiliaire nous permet de faire les corrélations dans le big data pour trouver l’information dont on a besoin plus rapidement qu’avant. L’industrie doit comprendre que cette intelligence est une nouvelle forme de management.

Ensuite, elle doit être consciente qu’il faut davantage dématérialiser ses activités et utiliser le virtuel. Pour les vingt prochaines années, la réalité augmentée et la réalité virtuelle vont jouer un rôle fondamental. Notre vision du monde est actuellement en deux dimensions – sur nos écrans d’ordinateurs ou sur du papier. Dans les vingt ou trente prochaines années, la communication sera tridimensionnelle grâce à ces technologies. Les casques seront très bientôt remplacés par des lunettes qui permettront de voir le monde en 3D. Les industriels doivent réaliser que nous entrons dans cette révolution.

L’économie circulaire était au cœur de votre intervention lors d’un colloque de Business Mauritius. Comment peut-elle s’appliquer chez nous ?

Elle est applicable partout et dans tous les domaines. Maurice a un avantage : la relation entre les secteurs privé et public. Il y a aussi un réseau industriel, avec des commissions – comme chez Rogers – pour étudier ces questions. L’écologie industrielle, qui consiste à mettre en boucle les flux de matières, et l’économie circulaire sont liées. Il faut que les ressources soient utilisées et réutilisées dans un système circulaire, qui permet de « boucler » les industries entre elles. Cette plateforme développera l’économie dans de nouvelles dimensions. La dimension humaine, notamment, c’est-à-dire le lien social dans l’entreprise. On ne considérera plus uniquement les flux de matières et d’informations mais aussi la relation humaine au sein de l’organisation. C’est un élément essentiel pour les sociétés de demain. L’intelligence auxiliaire et le numérique, s’ils sont bien utilisés, dégageront du temps pour les managers pour qu’ils s’occupent davantage des gens et de leurs problèmes dans l’entreprise.

Quels autres bénéfices attendre de l’économie circulaire ?

L’économie circulaire favorise la compétitivité industrielle – de fait, celle du pays. Elle favorise le feedback, l’évaluation de ce que l’on fait. Ainsi, on peut voir si une entreprise marche. Le retour d'information permet aussi l’innovation. Prenez le GPS, c’est un système innovant constitué d’un satellite, d’un écran tactile et d’un chatbot. Chacun de ces éléments est une innovation en soi, et fait du GPS un système innovant. Le feedback permet aux entreprises d’évaluer ces systèmes pour lancer de nouveaux services et produits encore plus performants.

Quelles technologies d’avenir pourraient bénéficier à Maurice ?

L’hydrogène. Il est sous-estimé à Maurice. Il peut être produit par la photosynthèse et utilisé dans une pile à combustible qui transforme l’oxygène de l’air en électricité. L’île Maurice est une pile solaire. Elle est une feuille énorme déployée au milieu de l’océan Indien. L’avenir des trente prochaines années, c’est la photosynthèse artificielle.

Au-delà des questions environnementales, quelles sont les grandes problématiques auxquelles Maurice aura à répondre ?

La co-éducation. On voit l’éducation nationale comme une pyramide avec, en haut, ceux qui décident de ce qui doit être enseigné. Ils découpent la réalité en petites matières – la physique, la chimie, le management – pour en faire des cours avec des examens. Avec l’Internet du futur, la traduction automatique et l’intelligence artificielle, l’avenir de Maurice c’est la co-éducation. Il s’agira de créer les conditions pour que les gens qui détiennent les connaissances puissent aider ceux qui ne les possèdent pas. Mais pas seulement à l’école, partout, dans les familles, les entreprises, les associations. Voilà un enjeu formidable qui permettra à Maurice d’être à la hauteur des défis de demain.

Les dépotoirs saturent, faisant de la gestion des déchets une urgence. Quelles sont les solutions à envisager ?

La valorisation des déchets organiques est une option. Cela implique qu’on les trie et les humains sont de très bons trieurs. Il faut pour cela qu’on leur explique où vont les déchets qu’ils ont triés. Ils seront motivés s’ils savent que leur travail aide à faire du bitume, des barrières, des vêtements, du biométhane pour produire de l’électricité. Il faut motiver les gens par l’évaluation de ce qu’ils font. Je vois très bien des start-up mauriciennes aider les industriels et le gouvernement à évaluer les résultats des projets mis en œuvre, dans le cadre d’un partenariat public-privé. C’est une idée pour de jeunes Mauriciens qui veulent se lancer dans le numérique.

Un homme, plusieurs vies

A 82 ans, Joël de Rosnay aborde toujours la vie avec le même enthousiasme, se passionnant toujours pour le surf, tandis qu’il poursuit sa réflexion sur les technologies avancées, la révolution numérique, les miracles de l’intelligence artificielle et la prospective, cette démarche qui vise à anticiper les évolutions de notre société pour mieux se préparer à demain. Chercheur, à ses débuts, dans les domaines de la biologie et de l’informatique, conférencier, écrivain, il a aussi développé l’approche systémique consistant à mettre en relation plusieurs disciplines variées comme la biologie, l’anthropologie, la cybernétique, l’économie ou l’écologie.

Sa longue carrière de scientifique inclut un séjour à Boston, au Massachusetts Institute of Technology (MIT) où il était chercheur et enseignant de 1967 à 1975. Durant la même période, il était attaché scientifique à l’ambassade de France aux Etats-Unis (entre 1968 et 1964). Il a aussi été Directeur des Applications de la Recherche de l’institut Pasteur jusqu’en 1984, avant de devenir directeur de la prospective et de l’évaluation de la Cité des sciences et de l’industrie de La Villette. Il occupera par la suite le poste de conseiller du président cette institution.

Il a aussi été chroniqueur scientifique à Europe1 de 1987 à 1995. PDG de Biotics International, sa société de conseil, Joël de Rosnay est l’auteur de plusieurs ouvrages scientifiques destinés à un large public. Il a écrit, notamment « Les origines de la vie » (1965), « La Malbouffe » (1979), « La Révolution biologique » (1982), ou encore « Les Rendez-vous du Futur » (1991) et « L’homme symbiotique, regards sur le troisième millénaire » (1995). « La Symphonie du vivant » est paru en 2018 (Les Liens qui Libèrent).

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