Les entreprises le reconnaissent : promouvoir l'égalité des genres dépasse la simple question de justice sociale et d'impératif moral – étant essentielle à leur succès et à l'innovation. Il s’agirait même d’une démarche stratégique favorisant la croissance, renforçant la culture d’entreprise et assurant un progrès durable dans un monde toujours plus interconnecté. Pour approfondir ce sujet plus complexe qu’il n’en a l’air, nous avons interrogé deux experts : Myriam Blin, économiste du genre, directrice du Charles Telfair Centre et directrice de la faculté de comptabilité, finance et droit à Curtin Mauritius ; et Jeremy Stockdale, PDG et fondateur de YLead, un cabinet sud-africain de conseil en leadership et culture. Un échange offrant matière à réflexion !
Que signifie pour vous l’expression « l’égalité des genres au travail » ?
Myriam : L'égalité entre les femmes et les hommes est un état. L’atteindre nécessite de reconnaître que tout le monde ne part pas du même point de départ. Les normes culturelles et les cadres sociétaux, comme le patriarcat, présentent des défis uniques pour les femmes. L'équité, et non la simple égalité, est nécessaire.
Jeremy : Je suis tout à fait d'accord. Tout est une question d'équité et d'accès aux mêmes opportunités, en veillant à ce que chaque individu, quelle que soit son origine, se sente inclus.
Suite à l'adoption du budget national 2023-2024, le gouvernement exige que les conseils d'administration des entreprises comptent 25 % de femmes. Que pensez-vous de cette mesure ?
Jeremy : J’espère que cela sera un vrai catalyseur de changement. Mais c’est encore insuffisant. Comme le dit l’experte en inclusion Vernā Myers, « La diversité, c’est être invité à la fête ; l’inclusion, c’est être invité à danser ». Un simple nombre dans les conseils d'administration ne suffira pas : nous devons faire appel aux idées et perspectives uniques des femmes pour de réels progrès.
Myriam : Je salue cette initiative. Actuellement, seules 20 % des entreprises cotées en bourse atteignent ce seuil de 25 % dans leur conseil d'administration. Le marché du travail compte 40 % de femmes. Nous devrions viser une moyenne de 40 à 50 % de femmes dans les conseils d'administration. Une meilleure proportion de femmes à ces postes en aidera d'autres à se projeter. Pour que leur voix soit véritablement entendue, une représentation minimale de 30 % est cruciale. Pour cela, il faut s'attaquer aux défis et biais auxquels elles sont confrontées. Les quotas sont efficaces, mais seulement sous certaines conditions.
Jeremy : On part du principe que les hommes accédant aux postes de direction sont compétents. En revanche, du fait d’un conditionnement social ancré, les femmes doivent quant à elles faire leurs preuves. J’appuie les propos de Myriam : les conseils d'administration doivent être mieux préparés pour promouvoir efficacement la diversité.
Comment les entreprises peuvent-elles créer une culture inclusive favorisant réellement l'égalité des genres et la diversité ?
Myriam : Le véritable défi réside dans cet « entonnoir inversé » au sein des entreprises, où la représentation des genres s’érode aux niveaux supérieurs. Pour y remédier, il faut un engagement soutenu à tous les niveaux et une ligne organisationnelle claire – à commencer par des décisions stratégiques sans ambiguïté pour atteindre une égalité significative.
Jeremy : Avant de créer ma société, j'ai passé 27 ans dans une entreprise. Avec le recul, je dois dire que les efforts en matière de diversité étaient surtout symboliques. Les véritables progrès exigent un engagement sur le long terme, des objectifs ambitieux, ainsi qu’un suivi basé sur des données. Pour créer des cultures inclusives, il faut s'attaquer à des comportements bien ancrés et à des obstacles invisibles. On parle là d’efforts continus, et non de solutions rapides. Beaucoup sous-estiment le potentiel de changement sur le long terme. Une évolution des mentalités peut aboutir à des résultats remarquables !
Myriam : Il est également essentiel de créer un environnement sûr où les échanges sur la diversité et l'inclusion sont normalisés. Pour ce faire, les dirigeants et l’encadrement intermédiaire doivent d'abord montrer la voie.
Jeremy : De telles conversations peuvent être éprouvantes en remettant en question des croyances profondément ancrées. Sensibilité et humilité sont nécessaires pour comprendre que le point de vue d'une personne peut avoir été conditionné ; et ces traits de caractère sont essentiels pour favoriser des environnements de soutien inclusifs, et permettre des avancées significatives.
Comment les hommes peuvent-ils contribuer à créer cet environnement sûr, tant au travail que dans la société en général ?
Myriam : En partageant les responsabilités domestiques, en particulier dans des pays comme Maurice où les femmes assument une part importante des activités non rémunérées. Sur le lieu de travail, il est essentiel de s'informer sur les questions de genre, d'éviter les préjugés, d'encourager des politiques flexibles et de soutenir activement les femmes pour qu'elles progressent dans leur carrière... En d'autres termes, devenir un allié de la cause !
Jeremy : Il est important de comprendre que l'équité homme-femme profite à tous. Cela comprend des questions telles que le travail non rémunéré (les femmes en font typiquement deux à trois fois plus que les hommes), et encourage les hommes à exprimer leurs émotions – améliorant ainsi leur santé mentale. La solidarité est cruciale : lorsque les gens réalisent les avantages sous-jacents, dans tous les domaines, ils peuvent vraiment faire la différence en écoutant (les études montrent que les hommes ont tendance à interrompre les femmes trois fois plus fréquemment qu'ils n'interrompent d'autres hommes), en nous éduquant, et en prenant des mesures éclairées. Personnellement, je crois que s'engager dans des efforts d'équité nous rend plus heureux et nous permet d'être de meilleurs dirigeants ; nous devenons plus empathiques, et capables de développer des relations constructives.
Selon des recherches du cabinet McKinsey…
- Appliquée au niveau mondial, l’équité entre les sexes permettrait d’injecter 12 000 milliards de dollars dans l’économie mondiale d’ici 2025.
- Les entreprises mixtes sont 15 % plus susceptibles de dépasser les résultats de leurs concurrentes.