Tom Hooper possède une vaste expertise et porte un intérêt particulier à la conservation du milieu marin. L’expert britannique partage ses réflexions sur l’état actuel de notre environnement marin et la nécessité de trouver un juste équilibre dans notre utilisation de la mer.
photos : eugène vitry | deeneshen sabapathee | reef conservation françois rogers | alain gordon-gentil
Quel était l’objectif de la création de l’ONG Shoals Rodrigues ?
Nous souhaitions pérenniser le travail déjà entamé par le programme Shoals of Capricorn, un projet initié par la Royal Geographic Society de Londres. Nous avons donc mis en place, à faible coût, un centre de recherches avec une forte implication locale et des liens étroits avec la communauté. Nous sentions aussi le besoin et le potentiel de continuer l’initiative.
Les scientifiques doivent recueillir des données sur plusieurs années, par exemple pour montrer les tendances à long terme dans l’évolution des populations, mais ils ont rarement la possibilité de rester longtemps sur le terrain. Nous avons prouvé que les scientifiques pouvaient se fier à des assistants de recherche locaux convenablement formés pour collecter des échantillons et prendre des mesures. Shoals Rodrigues a ainsi assisté des centaines de scientifiques et a aidé à recueillir des données pour des études scientifiques de portée internationale.
Un autre avantage majeur d’une telle approche est que les connaissances et compétences restent dans l’île. Par rapport à certains autres projets, nous avons pu démontrer que vous pouviez opérer, à moindre coût, un petit centre de recherches capable de fournir un soutien vital aux autorités et à la communauté locales.
Quelle a été votre plus grande réalisation durant vos cinq années passées dans l’île ?
Dès notre arrivée, la population et les autorités rodriguaises étaient réellement intéressées et favorables au travail que nous souhaitions entreprendre. Par-dessus tout, je suis vraiment très fier de l’héritage à long terme que nous avons laissé et qui se perpétue encore aujourd’hui. Dans les premières années suivant la création de Shoals Rodrigues, un certain nombre d’écoliers ont commencé à fréquenter le Club Mer le samedi matin, au cours duquel on leur apprenait des choses sur la mer, mais aussi à nager et à plonger avec masque et tuba ou bouteille. Ces enfants ont grandi et plusieurs d’entre eux sont devenus des employés de Shoals Rodrigues qui, à leur tour, apprennent à d’autres enfants rodriguais à connaître leur magnifique environnement marin.
Quelle est l’importance de l’implication communautaire dans le succès de toute initiative environnementale ?
Il est important de se rappeler deux choses au sujet de la mer. Tout d'abord, elle peut parfois ressembler au far west, un vaste territoire inhospitalier qui est difficile à gérer et où il est difficile de faire respecter la loi. En second lieu, personne n’aime subir les choses et nous aimons tous avoir la possibilité de contrôler notre destin. Ce que j’ai appris durant mon séjour à Rodrigues et à mon retour au Royaume-Uni, l’implication de ceux qui utilisent la mer pour leurs loisirs ou leur subsistance dans la prise de décisions est nécessaire si l’on veut que celles-ci soient acceptées et respectées. Les décisions sont souvent difficiles et émotionnelles, mais la majorité des gens sont prêts à garder une attitude positive, tournée vers l’avenir.
Ayant passé la majeure partie de votre carrière de biologiste marin dans l’océan Indien, quelles sont vos observations sur l’état actuel de notre environnement côtier et marin ?
J’ai eu la chance de pouvoir plonger autour des récifs quasi intacts de St-Brandon, au nord-nord-est de l’île Maurice. Lorsqu’on a pu admirer d’énormes mérous nageant parmi un nombre incalculable de poissons des récifs et des bandes de requins pourchassant des petits poissons dans des lagons peu profonds, on se rend compte de l’appauvrissement des récifs dans d’autres parties de l’océan Indien. D’un autre côté, j’ai aussi pu voir des récifs dynamités en Tanzanie et des jeunes gens pêchant d’énormes raies et mérous au harpon, puis les montrant fièrement alors qu’ils compromettaient inévitablement leur propre avenir de pêcheurs.
À l’échelle mondiale, je suis vraiment inquiet pour l’avenir de nos mers. Les effets combinés du changement climatique, de l’acidification, de la surpêche, de la pollution agricole et plastique exercent déjà une pression incroyable sur nos océans. À plus petite échelle, j’ai toutefois vu des projets vraiment encourageants, où les pêcheurs et la population locale ont pris leur avenir en mains en mettant en place des réserves marines.
Avec l’évolution de la société humaine, notre capacité à provoquer un impact sur l’environnement marin a augmenté. Notre connaissance de la mer s’est aussi approfondie, ce qui nous permet de voir et de comprendre cet impact. J’espère que nous pourrons utiliser cette connaissance avec sagesse et en tenant compte de ce que nous laisserons à nos enfants.
Quelle est la corrélation entre l’environnement côtier et marin ? La dégradation de l’un a-t-elle une incidence sur l’autre ?
Les deux sont intrinsèquement liés. À Maurice, il existe un lien direct entre la pollution plastique provenant de l’île elle-même, mais également de pays de l’Asie du Sud-Est, portée par les courants océaniques. Il y a aussi le problème des produits chimiques agricoles et des effluents humains. Si vous ne gérez pas votre environnement côtier – sachant que l’île Maurice toute entière est entourée de côtes – cela aura des conséquences néfastes sur l’environnement marin, avec subséquemment une incidence sur le tourisme et la pêche.
Le lagon peu profond et les récifs coralliens sont également très importants pour la protection de vos villages et villes côtiers. Ils sont une partie essentielle des défenses naturelles de l’île contre l’élévation du niveau de la mer, les vagues de tempêtes et les cyclones. Si vous deviez éventuellement les remplacer commercialement, cela vous coûterait des centaines de millions de dollars.
Qu’en est-il des phénomènes tels que les tsunamis et El Niño ? Cette dégradation a-t-elle un impact sur leur intensité ?
Que ce soit en Europe ou dans l’océan Indien, la plus grande menace pour l’environnement marin est sans nul doute le changement climatique. Les modifications de la température de l’eau, l’élévation du niveau de la mer et l’acidification de l’eau qui en résultent sont une triple menace pour les récifs coralliens et la vie marine. Les communautés côtières de l’océan Indien sont directement confrontées à ces changements et ne sont que trop conscientes des conséquences dévastatrices de la perte des récifs coralliens sur leur subsistance. L’enjeu est de parvenir à réduire équitablement nos émissions à travers le monde et c’est frustrant de voir les maigres progrès dans les négociations sur le climat. Au niveau local, nous pouvons faire tout notre possible pour réduire notre propre dépendance aux combustibles fossiles et adopter des technologies sobres en carbone.
Dans un même temps, partout à travers le monde, nous devons également réfléchir à des moyens de réduire le stress et la pression exercés sur notre environnement. C’est là que se situe notre responsabilité en termes de gestion de l’environnement. Par exemple, nous devons réfléchir à une utilisation plus raisonnée des produits chimiques agricoles, aux moyens de réduire et de traiter nos déchets, ainsi qu’à une gestion des ressources halieutiques pour permettre d’avoir du poisson pour les décennies à venir.
Quelles mesures préconisez-vous concernant la conservation marine ?
Les aires marines protégées (AMP) sont l’un des meilleurs outils disponibles. En réduisant certaines des pressions humaines les plus importantes, on peut créer des oasis de vie qui pourraient soutenir et aider à reconstituer l’ensemble du milieu marin. L’idée semble bonne en théorie, mais le défi est dans le choix d’un réseau de sites qui offrent une véritable protection pour tous nos différents habitats et espèces. Cela peut prêter à controverse, car il faudra limiter l’activité humaine, mais si ces aires sont convenablement mises en œuvre et gérées, elles peuvent être vraiment efficaces dans la sauvegarde la vie marine.
Il est également important de reconnaître que nous sommes tous concernés par l’environnement marin. La Grande-Bretagne est une île qui a une forte tradition de navigation et d’exploration marine, mais je pense que nous sommes trop déconnectés de notre patrimoine marin et oublions le rôle important qu’il joue dans nos vies. Je sais que les Mauriciens et les Rodriguais sont fiers et ont à cœur de protéger la mer et le lagon qui les entourent. Plus on entreprendra d’efforts pour apprendre aux gens à connaître le lagon et sa beauté magnifique, ainsi que sa fragilité, le mieux ce sera pour l’avenir.
Quelle importance revêt la contribution qu’apportent les entreprises pour remédier à la situation ?
La mer élève gratuitement du poisson qui peut être capturé, transformé et exporté. Elle est aussi un terrain de jeu où nous pouvons plonger ou naviguer et les récifs coralliens sont des défenses naturelles qui protègent nos terres des vagues et des tempêtes. C’est ce que nous appelons des « services écosystémiques ». Il y a eu des tentatives pour estimer l’énorme valeur de nos océans, qui s’étend à des domaines tels que la régulation du climat et le recyclage de nos déchets. Tout cela est gratuit et je crains que nous ne le prenions trop pour acquis. Il y a une forte volonté commerciale pour une utilisation non durable des ressources naturelles et cela peut avoir un coût pour les entreprises.
Partout dans le monde, les entreprises adoptent progressivement une perspective à plus long terme et une vision globale dans leur planification. Les poissons sont la ressource renouvelable par excellence. Si nous faisons attention à nos ressources halieutiques, la production continuera de progresser. Les entreprises jouent un rôle important en contribuant à un entretien et une préservation adéquats des avantages que la mer peut offrir, afin d’assurer la pérennité des revenus. L’île Maurice et le Royaume-Uni doivent tous deux trouver un juste équilibre dans leur utilisation de la mer. Il y a inévitablement des tensions entre les différents intérêts en présence et l’impact qu’ils ont les uns sur les autres. Je pense que le gouvernement a un rôle important à jouer dans la création d’un cadre réglementaire approprié pour gérer tout cela.
Un passionné de la mer
Âgé de 45 ans, Tom Hooper a toujours entretenu un lien fort avec la mer. Après des études universitaires en biologie marine et écologie tropicale marine, il a consacré la majeure partie de sa carrière à des projets de recherche et de conservation marine dans l’océan Indien. Il a découvert l’île Rodrigues en 1999 avec Tara, qui devint plus tard son épouse, et y a travaillé sur le projet Shoals of Capricorn, mené par la Royal Geographical Society et la Royal Society britannique. Deux ans plus tard, ils ont créé Shoals Rodrigues. Tom Hooper a quitté l’île en 2004 et a reçu, la même année, le titre de Member of the British Empire (MBE) pour services rendus à la conservation marine. Durant les six années suivant son retour au Royaume-Uni, il a été responsable du projet Finding Sanctuary, qui consistait à réseau d’aires marines protégées dans le sud-ouest de l’Angleterre, représentant 93 000 km2 de mer ! Tom Hooper est actuellement responsable de la politique maritime de la plus importante organisation de conservation en Europe, la Royal Society for the Protection of Birds (Société royale pour la protection des oiseaux).